samedi

1- Se défenser à grandir, se défoncer en y arrivant

Vous l'aurez compris : chez nous, les mots étaient superflus, tout mon univers s'est donc construit entre les lignes. Ma mère ramenait beaucoup de livres de sa bibliothèque, et la lecture m'a aidée à comprendre la vie, d'un point de vue plus fictif que réel. Et si les contes et autres romans m'apportaient l'exaltation, il m'était difficile de revenir sur la terre ferme.


Je peux l'avouer maintenant, sous mon lit je cachais mes livres préférés, des romans à l'eau de rose, très basiques (deux personnages, un seul enjeu) mais riches en émotions. Je lisais des livres plus intellectuels devant mon père par provocation, pour le faire bisquer. Il ne s'intéressait à moi que pour la ramener et critiquer, mais pour moi c'était déjà ça... Je me souviens avoir lu Des Souris et des Hommes, en allemand. Non n'admirez pas trop vite, je n'ai rien compris... Je ne sais pas comment il est arrivé chez nous celui-là, enfin si je sais, ma mère par coquetterie oubliait régulièrement de chausser ses lunettes. Quoi qu'il en soit je me faisais un plaisir de lire sous les yeux hébétés du pater. Un jour il a pris le bouquin pour lire la quatrième de couverture, et m'a toisée avec condescendance et fierté, pas une fierté envers moi mais pour sa propre culture : « Tu lis le prussien maintenant ? ». J'en ris encore, mais franchement je le remercie : la pauvreté de son investissement dans mon éducation a fortifié en contrepartie mon amour pour l'art. Tout ce qu'il exécrait, j'adorais, et comme l'imagination et lui faisaient deux...

Je me souviens d'une autre anecdote, j'avais cinq ans et venais de prendre mon premier cours de danse. Dans mon quartier, ce genre de pratique sportive n'était pas très encensée, alors je dansais avec des femmes beaucoup plus âgées, faute de clientèle. Va savoir ce qu'il s'est passé, est-ce que mon justaucorps était trop compliqué à retirer, est-ce que je n'ai pas osé demander, est-ce que j'étais trop concentrée... en tout cas je me suis oubliée... Malheureusement pour mon père, ma mère était absente lorsque je suis rentrée ce jour là et c'est lui qui a du s'occuper de la disgracieuse tâche. Il aurait bien attendu que ma mère rentre des courses, si je n'étais pas restée à pleurer près de lui avec mon incommodité. Il m'a foutue dans la baignoire avec mon justaucorps en grognant et me traitant de tous les noms de porcinet. Ça aurait pu être un vieux rejet, ça a été une révélation : ce jour là j'ai voulu être danseuse.

Je n'ai pas d'autres souvenirs de mon enfance, je l'ai tellement vécue en rêve, à travers les livres ou mon imagination...

Si... un dernier souvenir, une chanson, la première fois que je l'ai entendue à la radio je ne me doutais pas qu'elle allait devenir l'hymne de ma vie : Running up that Hill de Kate Bush. En l'écoutant je m'imaginais remonter une colline en courant vêtue d'une robe blanche immaculée, les cheveux dans le vent, le coeur battant, et le prince charmant me tirait la main pour m'aider à franchir les derniers mètres vers le sommet... Encore aujourd'hui avant chaque épreuve de la vie, je projette cette image dans ma tête, le tralala en moins, les gants de boxe en plus.



Je ne suis pas devenue écrivain, je ne suis pas devenue danseuse non plus, ni artiste d'aucune sorte, et pourtant Dieu sait* que j'aurais voulu être une artiste... Mon père a prié au-dessus de mon berceau pour que je devienne Isabelle Adjani, il pensait que ses origines kabyles nous faisaient un point commun, il n'avait pas tord, mais c'était le seul... je pense qu'il l'a vite compris et s'est résigné dès mon plus jeune âge. Ensuite, plus aucune vocation ne s'est dessinée pour moi.

Ce que je suis devenue, vous l'apprendrez plus tard. Mais vous avez déjà compris : ma vie, celle qui a véritablement commencé à l'adolescence allait être une colline, non, une montagne, à gravir en courant avec des gants de boxe aux poings.

Et sur le ring de l'amour, j'en ai pris des uppercuts !... Au cours d'un dernier round, je suis tombée en perdant connaissance et conscience, j'ai du laisser ma dépouille au sol et revêtir une autre armure. Mais c'est un autre chapitre, et la transition pourrait s'appeler Itinéraire d'une enfant rejetée, du rose de l'enfance, au rouge de la maturité.

*c'est une expression de ma mère, je crois qu'on l'utilise pour ajouter de l'ampleur ou de l'exagération...

1 commentaire:

_SCaLe_ a dit…

Nice Paule ! i love your Perrot side...